Vous ne devez pas craindre le sang, les odeurs fortes et le port de charges lourdes


Cet extrait d’annonce trouvé sur un site d'offres d'emploi est clair. Pour travailler dans un abattoir, il faut laisser de côté sa sensibilité. Ces dernières années, l’association L214 a multiplié les vidéos pour dénoncer le traitement réservé aux animaux. Au point d’en oublier, peut-être, les travailleurs. Ils sont pourtant 50 000 à trimer quotidiennement pour nourrir la machine agro-alimentaire. Comment vit-on le travail dans une usine de la mort ? Nous avons donné la parole à Arthur*, Corine*, Sylvain*, Dylan*, Christian* et Constance* qui travaillent à la chaîne dans des abattoirs industriels porcins.

* Tous les prénoms ont été modifiés.

Une expérience visuelle et auditive

Il est cinq heures, l’abattoir s’éveille


À la base, quand je suis arrivé à l'abattoir, c'était un dépannage. Je suis mécanicien à l'origine. J'ai un Bac Pro Mécanique. J'avais des galères. Je suis allé à l’abattoir car c'est la grosse boîte qui est à côté de chez nous. C'est un gros employeur. On est 10 000 ouvriers. La moitié des gens de ma ville travaillent là-bas. En ce moment, on commence à 4h du matin et on finit à 13h. On fait les deux huits.


- Arthur*, trois ans et demi dans la découpe


C’était pour un boulot d’été mais comme je n’avais pas de diplôme, c’est resté comme ça. La première fois c’était horrible, il y avait toutes les odeurs qui se mélangeaient : le sang, la graisse, les excréments.


- Christian*, a tout fait en 29 ans à l’abattoir



Taux de salariés ayant eu des horaires d'alternant

Taux de salariés ayant eu à se lever tôt (avant 5h du matin)

La voix du saigneur


À la saignée, les ouvriers ouvrent la carotide des porcs étourdis. Ils les vident de leur sang qui sera récolté pour le boudin. Ceux qui travaillent là souffrent d’une très mauvaise réputation. Y compris au sein des abattoirs. Pour Sylvain*, « les gars qui travaillent dans le secteur sale sont spéciaux. Même moi, je ne parle pas trop avec eux parce qu'ils ont une mentalité bizarre. » Pourtant, nous leur avons parlé.

J’ai travaillé à la saignée, surtout les premières années, mais je ne veux plus y travailler... L’humain s’habitue à presque tout mais quand on part en vacances pour trois semaines, quand on revient...

J’ai assisté à une éventration, à des tendons coupés, à un couteau entre les deux yeux, dans le nez. Mais les accidents sont de moins en moins nombreux.

Le son est surtout métallique. Il y a 90 décibels mais ce n'est pas compté comme de la pénibilité parce qu’on a des bouchons d’oreilles moulés. Le sang est omniprésent au début de la chaîne. À l’abattage, c’est à température ambiante, on ne chauffe pas. Il y a un peu de clim’ l’été. Mais c’est toujours dans l’humidité avec les jets de lavage au sol et la vapeur pour laver les couteaux.


- Christian*, a tout fait en 29 ans à l’abattoir

Un ouvrier à la chaîne traite jusqu'à 700 porcs par heure

Taux de salariés exécutant des gestes peu variés

Un ouvrier à la chaîne traite jusqu'à 700 porcs par heure

Taux de salariés exécutant des gestes peu variés

Viscères au poing


Après la saignée, d’autres ouvriers vident les porcs. Sur la chaîne, chacun exécute un ou deux gestes.

Nous, on reçoit tout ce qui est boyaux. C'est-à-dire la rate, l’estomac, les boyaux menus, les rosettes... On les détache de la bête et après ça part de l'autre côté. En ce moment, on voit passer 2 600 porcs par jour donc c'est une assez grosse cadence à respecter. C'est environ 400 à l'heure. Bien sûr, c'est des gestes répétitifs. C'est difficile. Normalement, on change de poste toutes les semaines. Mais généralement, nous les anciens, on tourne toujours sur les plus difficiles.

- Corine*, 9 ans à l’éviscération

J'en garde un très bon souvenir. On était une super équipe. Les boyaux, ça sent la merde mais je ne crains pas les odeurs. Après, c'est vrai que le premier mois a été très compliqué physiquement car il faut que le corps s'y fasse, tout simplement. J'ai eu des tendinites aux mains car je faisais toujours le même geste. J'ai passé trois semaines à ne pas dormir la nuit tellement ça me faisait mal. Puis je crois que mon corps s'est habitué.

- Constance* a travaillé 8 mois à la boyauderie avant de devenir assistante maternelle


Jours d'absence cumulés en une année

Poste traumatique


Les ouvriers de découpe reçoivent les demi-porcs refroidis pour les dépiècer.

Je suis en dépièçage, dépièçage jambon. On prépare le produit pour le client. On n'a que le jambon qui arrive et après on fait un parage. Ça sent la viande la première semaine où l'on arrive. Ce n'est pas forcément désagréable. On n'est pas dans certains secteurs comme la boyauderie. On ne voit pas le dehors de toute la journée. On est enfermé.

- Arthur*, trois ans et demi dans la découpe

Il fait 3-4 °C dans l'atelier pour éviter les microbes. On a des sols antidérapants car avec le service de nettoyage, quelques fois, il y a un peu d'eau qui reste au sol. C'est un atelier blanc, bien éclairé avec des néons, donc sans lumière naturelle.

- Dylan*, en apprentissage depuis un an et demi à l’abattoir

C'est assez dur. Là, je suis en arrêt, en chômage professionnel, trois tendinites au bras droit. Et je commence à en avoir au bras gauche. C'est assez dur quand même. Pourtant on fait des échauffements le matin, on s'étire, on fait attention. Le salaire est à peu près là, il n'y a pas de soucis mais le mal physique c'est quand même la principale contrainte que l'on a. Et la fatigue...

- Arthur*

Gestes répétitifs à l'intensité jugée forte
(en nombre de gestes effectués par minute)

Le porc de l'angoisse


Je rentre chez moi, il est 14h. Je me couche une ou deux heures et après je regarde la télé, je mange et je retourne me coucher. C'est comme ça toute la semaine.

- Arthur*

Ce n'est pas un travail qui me plaît. C'est un travail qui me fait vivre. J'en parle rarement autour de moi. Ce n'est pas moi qui engagerais la conversation dessus. C'est un peu répugnant pour les gens.

- Corine*

On nous tue à force de nous ignorer. Notre travail n’est pas du tout reconnu. On en rêve, on a des images, l’odeur et la cadence qui reviennent. Psychologiquement, c’est difficile. Moi j’ai pris des cachets pour dormir. Quand ils partent en retraite, tous mes collègues ont une pathologie. J’ai deux enfants et je voulais qu’ils fassent tout, sauf ça. Surtout pas travailler à l’abattoir.

- Christian*

Je parle de mon travail autour de moi. Tous mes voisins le savent. Ils me disent : « Oh les pauvres animaux machin ! » Je leur réponds : « Oui mais bon, il faut bien que tu en manges ! » Après je leur dis, ça c'est ce qu'ils nous font voir à la télé. Il ne faut pas mettre tous les abattoirs dans le même panier, ou tous les employés d'abattoirs dans le même sac. On n’est pas tous des enculés !

- Sylvain*

Genre et âge des salariés les plus touchés par la dépressivité

Filières dans lesquelles les salariés sont plus touchés par la dépressivité

Genres et âges des salariés les plus touchés par la dépressivité

Filières dans lesquels les salariés sont plus plus touchés par la dépressivité

Remerciements

SOURCES

État de santé des salariés de la filière viande du régime agricole en Bretagne, rapport commandé par la MSA puis enterré

Il a été déterré par Virginie Vilar et Geoffroy Le Guilcher, l'histoire complète sur Street Press

Steak Machine, enquête en immersion dans un abattoir breton par Geoffroy Le Guilcher, publié le 3 février 2017

Rapport d'enquête parlementaire, sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français, Président Olivier Falorni, Rapporteur Jean-Yves Caullet, le 20 septembre 2016

Remerciements

MEMBRES DE L'ÉQUIPE

Ostianne ARMINJON
Manon BELAÏCHE
Cyprien CADDEO
Maxence DETANTE
Joséphine LASCAULT
Léandre LE POLLES--POTIN
William MOUCHÈRE
Valentin PINEAU
Antoine PIZON
Anaïs RIBOT
Caroline TRAN