Voisins à temps partiel

Combien les résidences secondaires rapportent-elles aux communes bretonnes ?

INTRODUCTION

« 60 % 6050 ».
A priori énigmatique, le message tagué sur un bâtiment communal de Sarzeau (Morbihan), et dans treize autres communes bretonnes, en avril, n’a pas eu de mal à être compris des habitants de la commune. Il rappelle la part prépondérante de leurs voisins en résidence secondaire dans la population locale, bien trop nombreux aux yeux du collectif indépendantiste breton Dispac’h à l’origine de l’action.

La Bretagne apparaît comme un territoire prisé pour établir son deuxième toit, les résidences secondaires – soit occupées moins de six mois par an – y représentant 13,1% des logements (contre 9,7 % à l’échelle nationale). Devant les tags de Dispac’h, l’actuel ministre et ancien président de la région Jean-Yves Le Drian assurait que « la Bretagne n’a pas vocation à devenir une Breizh riviera ».

Elle y trouverait pourtant un succès économique certain, tant les résidences secondaires rapportent aux communes.

Mise au clair, en chiffres et en témoignages, des gains que ces habitants à temps partiel génèrent, mais aussi des difficultés qu’ils impliquent.

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1,2%

Augmentation annuelle du nombre de résidences secondaires en Bretagne (contre 0,9 % pour les résidences principales).

245 000

Nombre de résidences secondaires en Bretagne en 2015.

29

Nombre de communes bretonnes comptant plus de 50% de résidences secondaires sur la totalité de leurs logements.

Recette miracle

Compter plus de contribuables que d’habitants.

C’est l’avantage des communes disposant de résidences secondaires.
Les propriétaires paient des taxes dans toutes les communes où se situent leurs biens.
Les comptes faits, les recettes fiscales par habitant vivant toute l’année dans la commune grimpent.

Effort moins fort

...Pourtant, ces recettes fiscales pourraient être plus considérables encore !

Même à temps partiel, les résidents secondaires sont considérés comme des habitants de la commune où est implanté leur pied-à-terre. A ce titre, ils ne paient pas la taxe de séjour – et ne la doivent que s’ils louent moyennant finance.

Les communes à forte proportion de logements secondaires imposent également une pression fiscale moins rigide qu’ailleurs. C’est-à-dire que les recettes qu’elles perçoivent des quatre taxes locales sont inférieures à celles qu’elles pourraient enregistrer si elles appliquaient les taux d’imposition moyens nationaux - soit le « potentiel fiscal », présenté comme la richesse théorique d’une commune.

Temps partiel, dotation pleine

Pour l’Etat, les résidents secondaires vivent toute l’année dans leur seconde commune.

La dotation globale de fonctionnement (DGF) qu’il octroie aux municipalités est proportionnelle à leurs populations. Dans son calcul, résidents primaires et secondaires se confondent – ces derniers étant aussi comptabilisés dans leur commune d’origine – gonflant ainsi la dotation d’une commune.

Si elle se consacre à une faible population une partie de l’année, cette dotation sert néanmoins à adapter les effectifs communaux et les infrastructures à une population plus nombreuse par période.

Le poids des dotations réservées aux communes à fort taux de résidences secondaires peut expliquer qu’elles aient besoin d’un effort fiscal moins important.

L’impossible équilibre

Des équipements saturés l’été, surdimensionnés l’hiver.

Les dotations de l’Etat, basées sur la population saisonnière, visent à faire face à l’afflux de résidents secondaires et des touristes en période estivale. Soudainement, les équipements doivent répondre à une demande abondante.

« Il y a une quinzaine d’années à Sarzeau, pendant un an et demi, toutes les demandes de permis de construire étaient rejetées. En cause : la station d’épuration sous-dimensionnée. La commune a dû en construire une plus performante pour accueillir plus de monde »

Maryvonne Fayolle, urbaniste à la retraite et ancienne membre de la Commission extra-municipale pour l’environnement de Sarzeau (2008-2014).

Plus récemment la municipalité a, dans le même objectif, voté pour 2023 la construction d’un tunnel sous une route « totalement saturée » l’été… Mais raisonnablement fréquentée en hiver. Même soucis d’équilibre saisonnier pour les parkings, etc.

Ces aménagements ont aussi des conséquences environnementales dans les communes développant leurs installations pour une population intermittente. La première d’entre elles, c’est l’imperméabilisation des sols, due aux parkings et maisons, favorisant : le ruissellement de l’eau et de contaminants vers le littoral, l’érosion des sols, le risque d’inondation, les îlots de chaleur urbains, la fragmentation des habitats naturels.

Des ricochets pour l’hôtellerie

« Le monde amène le monde. »

Les hôtels profitent de l’implantation de résidences secondaires sur le territoire breton. En attirant de la famille, elles permettent aux hôtels de combler les périodes creuses.

De manière surprenante, certains propriétaires de résidences secondaires sont aussi parfois des clients d’hôtels. C’est par exemple le cas lorsqu’ils ne sont présents qu’un week-end, et que rouvrir leur résidence a un coût en termes de temps et de chauffage. Les résidences secondaires sont privilégiées pour de longues périodes, souvent l’été.

« Les résidences secondaires nous amènent du monde. Certaines familles viennent à Noël dans leur résidence secondaire mais ils ne peuvent pas accueillir tout le monde. Du coup, ça a une influence positive sur mon business, puisqu'ils amènent des clients en plus pour mon hôtel quand ils font des grandes réunions. »

Armelle Di Tommaso, responsable d’un hôtel à Perros-Guirec

Les montagnes russes

« On est 20 000 l’hiver contre 100 000 l’été »

Guy Mariel, vice-président de l’Association des commerçants et des artisans de Sarzeau et hôtelier-restaurateur.

Les résidences secondaires imposent une cadence irrégulière aux commerçants. Il est difficile de vivre toute l’année d’une même activité, certains commerces comme à Arzon sont saisonniers c’est- à-dire qu’ils ne sont ouverts qu’une partie de l’année. Pour les commerçants, cela implique une instabilité de vie, voire une insécurité financière.  Ils quittent une région touristique pour s’installer dans de grandes villes.

« La grosse difficulté c’est la différence de chiffre d’affaires qu’il peut y avoir entre l’hiver et l’été. En fait, c’est à nous de nous adapter en termes de personnel et de gestion des stocks. C'est la complexité de la chose. On fait des contrats saisonniers, qui permettent de pallier au surcroît d’activités. De plus, on doit avoir de très grands stocks à partir du mois d’avril. »

Agnès Postic, le panier D’Oanez, épicerie fine à Plougasnou

Pour Agnès, le chiffre d'affaires du mois d'août correspond à 4 fois son chiffre d’affaires du mois de janvier.

Terres en or

La vente de terrains prisés, une manne financière pour les habitants et les communes.

« Chez nous, il y a beaucoup de terrains en friche. Les agriculteurs ou leurs propriétaires attendent qu’ils deviennent constructibles. En réalité c’est un leurre, puisque désormais avec la loi littoral les constructions futures ne peuvent être qu’en continuité avec le bâti existant »

Maryvonne Fayolle, urbaniste à la retraite et ancienne membre de la Commission extra-municipales pour l’environnement de Sarzeau (2008-2014).

Au regard du « très peu » de zones d’aménagement concerté (ZAC) dans la Presqu’île de Rhuys, où les résidences secondaires sont majoritaires, Maryvonne Fayolle note que les municipalités préfèrent se désengager des constructions – au-delà des plans locaux d’urbanisme (PLU) – en vendant les terrains à des promoteurs privés.

« En quittant la Presqu’île, plus on va dans les terres moins le prix du mètre carré est élevé »

Isabelle Rondot, directrice de l’agence immobilière OFIC à Arzon.

Chez moi, c’est chez toi

L’inflation immobilière relègue les moins favorisés et les jeunes en périphérie des communes.

Eux vivent dans la commune de manière permanente, mais peinent souvent à se loger dans les zones à fort taux de résidences secondaires, devenues inabordables financièrement.

« Les communes ont un pouvoir fabuleux sur tout le foncier : elles décident des terrains constructibles ou non. Mais une fois qu’elles les cèdent au privé, si elle ne fixe pas de prix plafond, c’est la loi de la jungle. Les jeunes ne peuvent pas acheter les terrains qui sont trop onéreux, puisque ce sont des promoteurs immobiliers qui ont mis le grappin dessus. Et eux, ils font du business. A Sarzeau, il y a des logements sociaux, mais rarement dans les secteurs bien placés au bord du littoral, obligeant à avoir une voiture »,

Maryvonne Fayolle, urbaniste à la retraite

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